En gare de Tralee

J’étais assis sur un siège en plastique bleu de la gare routière de Tralee. Pas très confortablement, mais je resterais encore trois quart d’heure en attendant le bus pour Dingle. Je n’irais pas faire un tour en ville, il pleut trop, le plafond est bas, tout est gris. J’ai mis les écouteurs et je regardais l’étrange va et vient de randonneurs avec des sacs à dos énormes et d’invalides. Des boiteux, des manchots, des pauvres hommes bourrés de tics, on dirait qu’on vieillit mal dans ce coin d’Irlande. Je crois bien que c’était Forever Change de Love qui faisait la bande son. Mon esprit divaguait ça et là puis a dû s’absenter quelques instants et puis quand je suis revenu à moi, elle était là assise en face de moi.

Elle se tenait droite, le regard ailleurs également, absente du tableau dont elle était soudain le centre. Elle était fine, avait de grands yeux noirs, de longs cheveux noirs également. Magnifique. A ses côtés, debout, une harpe. Un instrument antique qui l’envoyait tout en haut de l’Olympe. C’était la déesse de Tralee. La demoiselle qui voyageait avec elle s’activait, regardait des cartes, se renseignait au guichet, aidait un des vieux abîmé impuissant devant le distributeur automatique de billets. Sûrement une fille très chouette, mais, c’est cruel, elle n’est que la copine de. Elle n’est qu’humaine, elle.

Le jour le plus laid

Forever Changes avait dû revenir à Alone Again Or quand le bus arrivait. On a quitté Tralee en direction de Dingle par une petite route qui serpentait entre les collines sombres à gauche et la mer toute aussi hostile à droite, c’était encore l’après midi et tout était si noir. La déesse et l’autre fille étaient assises devant. Une fois arrivé, je leur demanderai si elles jouent dans un bar le soir. Je voudrais entendre la voix divine. Je l’imagine chanter comme PJ Harvey sur son disque White Chalk. Ou alors, sous ses airs, peut être qu’elle est une Banshee, ces fées maléfiques des mythes celtiques, peut être qu’elle a le pouvoir d’envoûter les hommes et que tous se jetteront dans les eaux du port ce soir. Le bus s’arrête au milieu de nulle part et les deux filles descendent. Pffff, tout ça pour ça.

Je débarque à Dingle, la pointe ouest de l’Europe. C’est le jour de Juillet le plus laid que j’ai vécu. Je le finis avec des jeunes Allemands habillés pour le casting d’Indiana Jones Juniors. Ils sont marrants mais n’ont pas assez de sous pour boire au pub, alors on s’envoie les bières les moins chères du discount local. On est sur le port, face à une fête foraine, aucun manège ne tourne. Il y a juste leurs propriétaires, et deux ados qui fument sur une murette. Et nous en k-way, avec le vent qui fouette le visage. Je me demande ce que je vais bien pouvoir faire du lendemain.

L’Ouest de l’ouest de l’Europe

Le jour le plus beau

Le lendemain, il fait beau, le ciel est tout à fait bleu. Je loue un vélo et roule jusqu’à l’endroit qui s’appelle Slea Head Drive. Les stupides touristes (alors que moi je suis intelligent) y passent à fond dans leur voiture de location. Là, la vue s’ouvre sur une côte que le Tout Puissant a découpé au ciseau. La mer brille, elle est bleue aussi, les eaux noires de la veille ont disparu. Un chapelet d’îles se détachent, c’est les Blasket, pour le coup vraiment l’ouest de l’ouest de la Vieille Europe. C’est magnifique. En bas, les autochtones font griller des saucisses et des œufs sur la plage, tout le monde est joyeux. C’est une belle journée, qui finit au pub Marina Inn avec quelques pintes brunes.

Au premier rayon de soleil, tout le monde bronze
La veille, il faisait 12 degrés

Deuxième jour. Retour à la gare de Tralee, dans le bus pour Cork. Il se remplit, démarre, puis qui je vois dans l’allée centrale ? La Déesse ! Mais elle a retrouvé son aspect de simple mortelle sans sa harpe. Elle s’assoie à côté de moi, sa copine deux sièges après. J’ai à peine ouvert la bouche, j’allais lui dire que je les avais vu deux jours avant, que la harpe m’avait intrigué, mais elle colle son portable à l’oreille. Elle appelle sa mère, et en français lui raconte des problèmes d’ordre gynécologique. Je l’ai fermé.

Voyage effectué en juillet 2010, texte auparavant publié sur le blog BANG!BANG!

1 commentaire

  1. […] Cross, l’étonnante plage de Lettergesh, un coin de Caraibe, du sable blanc et fin en plein ouest irlandais. Je repense à mes compatriotes, c’est des pèlerins en Connemara, je me les imagine […]

Laissez un commentaire