Morceaux de Balkans

Nous attendions le bus pour Mostar en gare routière de Kotor. Les Balkans sont une mosaïque de peuples, de cultures, de religions. Nous l’avions vu dans le paisible Monténégro, orthodoxe au nord, musulman au sud, soit 100km plus loin. En Bosnie, car nous allions en Bosnie, nous risquions aussi d’être confrontés aux balafres de la guerre, Mostar étant une ville martyre du conflit qui ravagea la région au début des années 1990.

A la frontière, nous sommes accueillis par un drapeau qui ressemble fort à celui de Serbie. C’est surprenant et déboussolant, mais tout s’explique. La Bosnie Herzégovine est un état fédéral, et nous sommes dans la république des Serbes de Bosnie. Plus loin, c’est une vision d’horreur à Gacko. La peinture d’un militaire sur le pan entier d’un immeuble, un visage de sinistre mémoire, celui de Ratko Mladic, le « boucher des Balkans ». Donc dans ce pays, une partie de la population a la nostalgie du temps où on en massacrait une autre, et peut l’afficher publiquement. C’est glaçant, il fait pourtant chaud.

 

Mostar vu du pont …

 

Mostar, vu du pont 2 …

Le Vieux Pont de Mostar

Que faire à Mostar, pourquoi vient-on ici ? Essentiellement pour voir un pont, le stari most, avant d’aller ailleurs. Après la mosquée Koski Mehmed Pasha, la rue Tepa se resserre, des petits commerces vendent des souvenirs, ambiance souk. Des cuivres, des étoles, du plastique. De l’artisanal et du contrefait. La discothèque Ali Baba et de jolie façades en pierre. La rue s’élève et on arrive au pont où les touristes se pressent. Des locaux en maillot sont en équilibre sur le parapet, harangant la foule en tendant un chapeau. Quand il est assez plein, ils sautent sous le regard des smartphones. C’est haut, vertigineux, la gorge étroite. Le plongeon doit être millimétré pour ne pas se fracasser le crâne en contrebas.

 

Bien sûr qu’il est cap !

 

Et puis on mange chez Tima Irma des montagnes de viandes de veau, volailles grillées accompagnées de pitas, tomates, fromage de brebis et concombres. Les gens écarquillent les yeux quand les plats arrivent et attaquent à la fourchette, jusqu’à épuisement.

Les gens traînent en terrasse, profitent de la tombée du jour, bien que l’atmosphère reste étouffante. Ils sont détendus, mais derrière cette douce insouciance, ne se cacherait-il pas une certaine ignorance ? L’entrée du musée à l’entrée du seul site touristique de la ville est 3 euros, et il est vide. Sur les murs, des photos noir et blanc de Mostar durant le siège. Elles sont signées du reporter Néo-zélandais Wade Goddard, qui en a fait un livre titré « Enclave ».

La ville est dans une cuvette, les Croates bombardent du haut des collines. Les snipers, les cadavres, les ravitaillements, les casques bleus. D’accord, ce n’est pas drôle, mais il semblerait essentiel d’en savoir un minimum à ce sujet quand on est ici. Du flot de touristes qui passe devant la porte, personne n’entre. Combien savent que le pont vers lequel ils convergent est un des symboles de la renaissance du pays ? En effet, il a été détruit durant la guerre, lui qui, daté du XVIème siècle, fut rebâti entre 2001 et 2004, avec les pierres originelles, sorties du fond de la rivière.

Blessures de guerre

Les blessures de la guerre sont encore bien visibles. A la sortie de la gare routière, quand on remonte l’avenue Duborvacka, on remarque que les façades des immeubles, en plus d’être décrépies, sont criblées de balles. Plus bas, un bâtiment qui pourrait être un parking à étage jamais terminé. C’est la tour des snipers, ils étaient postés là et descendaient tout ce qui bougeait. Elle a été taguée de la tête aux pieds, l’accès est interdit pour éviter accidents et visites morbides. Autour, un no man’s land de ruines également peintes, mais aussi un lycée dans un style architectural mauresque. Il avait été bâti sous la domination austro-hongroise puis remis debout ce siècle-ci. Il faut du temps pour relever une ville, mais il semblerait que les Bosniens garderont de grosses balafres bien visibles, pour que personne n’oublie.

 

Street Art sur un mur criblée de balle.

 

Tour du sniper …

 

et autres peintures environnantes.

 

Mostar, la vie bat son plein, les touristes rue Tepa, les locaux avenue Dubrovacka. Les terrasses sont pleines, ça rentre et ça sort des magasins, les mêmes enseignes qu’à Bordeaux ou Toulouse. Et pourtant, il y a quelque chose de gênant. Quelques croix gammées visibles à l’entrée d’immeubles, des sigles agressifs qui seraient des groupes de supporters du club de foot, à tendance néo-fascistes, déplaisant, mais ça va au-delà. Comme si quelque part dessous, des braises couvaient encore.

En fait, la religion est omniprésente. Mosquées, églises, églises, mosquées, dans un espace réduit. Ce n’est pas un problème, mais rien de spirituel ne s’en dégage. La religion est là pour marquer l’appartenance à une communauté, et tout signe extérieur est affiché. Par exemple parmi d’autres, non loin de là où nous dormions, il y avait une peinture de Luka Modric, le ballon d’Or croate. Au début de sa carrière, il a joué une année au HSK Mostar, club de la communauté croate qui jouait ce soir-là un tour préliminaire de la ligue Europa. Et bien, sur cette peinture, en arrière-plan, la grande croix qui domine la ville. Modric est croate, le club est croate, donc croix catholique en évidence. Est-ce que les supporters du HSK garnissent les églises le dimanche matin ? On peut en douter.

Bref, c’est un exemple, un malaise découlant d’un ressenti personnel. Nous sommes resté à Mostar deux nuits, c’est plus que la plupart des touristes, mais pas assez pour vraiment prendre la température d’une ville.

Le matin du deuxième jour, l’orage finit par éclater. Le lendemain, nous serions à Sarajevo.

 

Orage en approche au dessus de Mostar !

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