23 mai 2018, en fin de matinée

On s’arrête au milieu de nulle part. Le paysage ressemble à un tiramisu avec ses couches de crème allant du beige au marron clair puis foncé. Notre guide Eku nous dit qu’une yourte isolée, sans signe de vie, humaine ou animale, est habitée par des esprits malveillants. Il y en a une là, à mi-hauteur. Lui fait chauffer de l’eau à l’arrière de l’UAZ pour nos nouilles lyophilisées, nous allons inspecter les alentours. C’est vrai qu’il n’y a pas de signe de vie autour de cette yourte, pas la moindre déjection ovine. On passe au large au cas où …

Une yourte isolée serait habitée d’un esprit malveillant

« On est constamment entouré par l’immensité. Peu importe où vous allez, il y a toujours trois niveaux de couleurs et de textures autour de vous : les steppes, les montagnes lointaines et le ciel » dit le photographe Frédéric Lagrange qui a passé 17 ans à arpenter le pays. C’est vrai et on le vérifie sur la route tous les jours. Sauf aujourd’hui. Un quatrième niveau s’intercale entre la steppe et la montagne sur notre gauche : les dunes de Khongor Els que nous longeons sur plus de 80km.

Il ne faut pas avoir peur de faire de la route (ou de la piste en l’occurrence) quand on vient en Mongolie. On en avale beaucoup de kilomètres aujourd’hui, il y en aura encore pas mal demain jusqu’à Bayanzag. On est secoué sur la banquette arrière de l’UAZ. Nos vertèbres successivement s’étirent et s’écrasent, et pourtant, il semble être le véhicule le plus adapté à l’expédition. Un couple helvético-suédois arrive une heure plus tard au terminus du jour, le vieux Nissan qui les transporte n’en peut plus.

Chameau

La famille qui nous accueille élève des chameaux pour balader les touristes jusqu’au point où les dunes sont les plus hautes. On ne pourra y échapper. Nous voici sur ces vilaines bêtes à l’œil dédaigneux et au poil dru, en rang d’oignons. L’éleveur au milieu du convoi se fait porter, sa femme marche en tête, tient la corde qui nous relie tous. C’est lent et la méfiance envers l’animal empêche de profiter du paysage.

Khongor Els, les dunes chantantes

Enfin descendu, un mur se dresse devant nous, 300 mètres de haut qu’on gravit à quatre pattes. Pour un ordre d’idée, c’est presque trois fois la dune du Pilat. Le vent encore soutenu fait voler le sable autour de nous, ce qui pourrait rendre l’expérience désagréable, mais il n’en est rien.

En haut, l’arrête est parfaite, à cheval (et non à chameau) sur le sommet, on domine la région. De l’autre côté, encore du sable, et les montagnes qui nous paraissaient si proches et qui sont si loin. Encore au-delà, la Mongolie Intérieure, qui n’est pas en Mongolie, mais en Chine. De ce côté-ci, notre campement est minuscule, au pied de la dune, de petites étendues d’eau bordées d’herbes folles, c’est la première fois depuis notre arrivée dans le pays que nous voyons de l’eau. Plus tard, en les longeant, nous dérangerons canards et autres oiseaux. Le dépaysement est total, nous avons changé de continent, nous sommes au bord d’un oasis, quelque part dans le Sahara.

Ces dunes sont célèbres pour autre chose que leur hauteur : elles chantent. Elles chantent, c’est vite dit, il ne faut pas être trop exigent, disons qu’elles émettent une sorte de plainte grave. Le déplacement de masses extraordinaires de sable est amplifié par le vent qui s’y engouffre. Il est recommandé d’augmenter le phénomène en descendant lourdement, sur les fesses par exemple. Et c’est le moment où on pense aux effrayants vers des sables géants du bien nommé film de science-fiction Dune. Ils pourraient jaillir de Khongor Els à tout moment pour nous engloutir. Ou on pourrait plus certainement voir l’Olgoï Khorkhoï, le ver rouge sang du Gobi qui crache du poison et électrifie hommes et animaux selon la légende.

A 300m de hauteur, l’arrête du Khongor Els est parfaite

Dans le Gobi, même les chameaux sont heureux de voir de l’eau

Se doucher, c’est tricher

Nous rentrons au camp sains et saufs pour partager une bière avec nos compagnons de voyage. Depuis plusieurs jours, un couple de profs basés à Hong Kong fait route avec nous. Tous les touristes font à peu près la même boucle dans le Gobi et les chauffeurs aiment bien rouler ensemble. Ils se prêtent main forte en cas de pépin mécanique. Ça nous offre de belles images de deux UAZ traçant à plein régime sur des pistes parallèles. On discute des voyages précédents, de la vie çà et là. La plupart des occidentaux croisés viennent pour des trips de plusieurs mois à travers l’Asie, nous sommes les seuls à venir de la vieille Europe pour quinze jours. Il y a non loin de là un camp de luxe avec un bloc sanitaire, nous ne pourrons pas résister, même si dans le Gobi, se doucher c’est tricher.

Voyage fait avec Legend Hills de Oulan Bator

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