Le Pape et les aigles

La Pologne ne fait pas parler d’elle pour des raisons très réjouissantes ses dernières années. Le gouvernement en place applique une politique de plus en plus autoritaire et conservatrice dans une société où l’intégrisme catholique grignote, notamment les droits des femmes. Cracovie pourrait être l’épicentre de cette poussée religieuse, puisque la ville d’origine de Karol Wojtyla, dit Jean Paul II. Le berceau du pape, un lieu de pèlerinage en France, voilà qui méritait une ligne aérienne depuis Lourdes.

Face à Sainte Marie

De la place Rinek Glowny avec sa halle aux grains et sa basilique Sainte Marie au château fort de Wawel, le centre médiéval de Cracovie est parfaitement conservé. Bien que la ville ne soit pas la capitale, elle est considérée par son histoire comme le cœur de la nation polonaise. Une lignée de rois aux noms aussi charmants que Boleslas, Casimir ou Sigismond ont régné sur un pays souverain. Sans parler du légendaire Krakus qui a donné son nom à la ville. Un pays qui a subi les invasions des Tatars et des Mongols et qui connaîtra maintes occupations par la suite, de par ses voisins allemands, prussiens et russes. Il n’est donc pas étonnant de croiser des colosses au crâne rasé, arborant l’aigle des armoiries sur leur t-shirt moulant laissant imaginer des passions pour la musculation et la bagarre. On passe au large.

Mais c’est aussi une ville de lumière. Son université qui fut la première d’Europe centrale a notamment accueilli Nicolas Copernic. Celui-là même qui a découvert que la Terre tournait autour du soleil. L’université renferme aujourd’hui le premier globe terrestre jamais fabriqué, avant la Terre était plate.

Quartier Kazmierz

Au sud de la forteresse, on rentre dans le quartier de Kazmierz, du nom d’un roi précité. Il paraît délabré mais on se rend vite compte de la belle vie qui y règne. Terrasses, restaurants, petits commerces indépendants, on rentre dans le royaume du « Do It Yourself ». Street art bien senti, mobilier de récup’, tous les signes du quartier bohème. Mais pas du bobo à la parisienne avec des magasins de meubles scandinaves, non, du bobo à la slave, le modèle original. De la musique klezmer s’échappe d’une ancienne synagogue, désormais librairie. L’histoire de ces rues en plein essor est funeste, c’était le quartier juif. Quand les nazis sont entrés en Pologne, ils l’ont vidé. Des milliers de personnes. Comme on en avez aussi pris conscience à Trebic en République Tchèque. Et Auschwitz n’est que quelques dizaines kilomètres à l’ouest de Cracovie.

Façades de Kazmierz

Où manger ?

Il est moyennement bien venu de parler de manger après l’évocation des camps de la mort, mais l’histoire du Bagel Mama, rue Dajwor, est liée. On penserait que le Bagel vient des Etats Unis, tout comme le hamburger. D’ailleurs, l’extrémité est du quartier a le charme désordonné des rives de l’Hudson, des terrains vagues délimités de grillages des bordures de Manhattan. Mais le bagel est en fait un plat originaire d’Europe centrale, la communauté juive qui l’a amené dans ses bagages en traversant l’Atlantique. Et deuxième surprises, le patron est un New Yorkais, descendant de juifs de Kazmierz, qui a fait le chemin inverse. C’est bon et l’histoire est belle ! Voir le Bagel Mama sur Tripadvisor.

Autre adresse typique pour se restaurer, le Polakowski, rue Miodowa, est un bar à lait, vestige de l’ère soviétique. Les ouvriers venaient s’y restaurer à moindre coût à la sortie de l’usine. Et c’est vrai que ce n’est pas cher, mais c’est généreux. Alors si à la vue des prix, on serait tenté de prendre plusieurs plats, ça serait bien avoir les yeux plus gros que le ventre. Au Polawski, dans un décor coloré de garde-manger, entre légumes frais et bocaux posés sur les étagères, on commande au comptoir, puis de robustes employées en tenue traditionnelle vous appellent pour que vous alliez chercher vos plats. Elles crient plutôt, en polonais, puis en anglais. Ça serait l’occasion de goûter les pierogis, les ravioles locales cuites au bouillon, fourrées au fromage, aux choux ou à une viande non identifiée.

Où boire un verre ?

Retour à la guerre froide au Propaganda …

Oui, il serait dommage de visiter Cracovie au pas de course, de ne pas prendre le temps de se poser. Après manger, boire un verre ? Le quartier regorge de petites places avec terrasse, de cours intérieures. Par exemple, place Wolnica, la brasserie Ursa revendique la meilleure bière artisanale du pays. Changement radical d’ambiance rue Miodowa.

Il paraît que les Polonais ne sont absolument pas nostalgiques du communisme, et pourtant à l’entrée du Propaganda, Brejnev salue le client. C’est un retour en pleine guerre froide qui l’attend. A part la serveuse, pas grand-chose là-dedans a moins de 40 ans. La lumière est faiblarde. Ça sent la poussière, des grandes tentures rouges au plafond, des carcasses de téléviseur, à tube cathodique bien sûr, des tournes disques, des stickers et graffitis partout sur les murs, des affiches et des tableaux étranges, comme ce château qui brûle. Et puis la musique, entre punk et cold wave martelée ne réchauffe pas vraiment l’atmosphère. De drôles d’oiseaux doivent hanter les lieux sur les coups de minuits.

Les illustres de Kazmierz …

La liste de Schindler

Retour à l’histoire de Cracovie. La population juive de Kazmierz n’a pas été de suite déportée par les nazis. Elle a d’abord été déplacée de l’autre côté de la Vistule, entassée dans le ghetto de Podgorzé. Ici se trouve la célèbre fabrique d’Oskar Schindler, rue Lipowa. Durant la guerre, l’industriel allemand avait sauvé des centaines de personnes en les faisant travailler dans son usine. Aujourd’hui, les bâtiments ont été réaménagés en un gigantesque musée retraçant l’histoire du ghetto, décrivant les conditions de vie, son quotidien. Il est d’une grande richesse, passionnant mais mieux vaut comprendre l’anglais et prendre son temps. On peut facilement y rester une demi-journée.

Dans la zone d’embarquement de l’aéroport Jana Pawla II, les signes ostentatoires religieux sont légions. Il existe même des éditions de guides touristiques en polonais. Au fait, on avait le droit de réserver ce vol sans motivation pour un pèlerinage ?

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